Le 6e siècle

Publié le par Hacik

La division (2)

Le centre du christianisme a basculé. Désormais, et pour quelques siècles, il se trouve en Orient, où la pensée théologique bat son plein, et où apparaissent des divergences religieuses qui ont persisté jusqu’à nos jours.

Tandis que l’Occident chrétien des royaumes barbares s’enfonce dans la nuit culturelle et intellectuelle des premiers siècles du Moyen Age, l’Orient bruit de querelles théologiques, se déchire religieusement, ébauche sa liturgie propre, construit monastères et églises. Au Ve siècle, le centre du christianisme se trouve dans cette partie du monde. Deux monuments de cette période expriment encore aujourd’hui la gloire de l’Empire chrétien romain d’Orient: la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople, dédicacée en 537 par l’empereur Justinien, et le Code de ce dernier, recueil de toutes les lois de l’Empire et fondement du droit de la société civile et religieuse européenne.

La double identité du christianisme

Ce VIe siècle est crucial à plus d’un titre. Les germes du schisme de 1054, qui verra la séparation des chrétientés orientale (orthodoxe) et occidentale (catholique), sont déjà présents. Le christianisme est encore un, mais il a dorénavant deux identités bien distinctes. L’Orient voit aussi naître des divisions religieuses internes qui ont persisté jusqu’à nos jours. Arguties théologiques? C’est peut-être bien ainsi, un millénaire et demi plus tard, qu’on peut voir les choses. Mais il faut tenter de se replacer dans le contexte de ces chrétiens de la fin de l’Antiquité qui s’efforcent, souvent avec véhémence, de définir le mystère d’un Dieu fait homme en Jésus-Christ.

Les racines de ces divisions remontent aux IVe et Ve siècles. Après s’être déchiré autour de la nature des trois personnes qui forment la Trinité, l’Orient cherche à savoir comment Dieu et l’homme se sont unis en Jésus-Christ. Apollinaire (310-390), évêque de Laodicée en Syrie, donne le coup d’envoi des hérésies christologiques qui vont labourer la théologie orientale.
Quid de la rédemption?

A ses yeux, le Christ n’a pas assumé une humanité complète en ce sens qu’il n’aurait pas eu, comme nous autres, d’âme humaine. Quid de la rédemption, lui rétorquent ses adversaires, si dans l’homme ne peut être sauvé que ce qui a été assumé par le Christ? La doctrine d’Apollinaire, qui irrite en particulier les théologiens d’Antioche, est condamnée à plusieurs reprises. C’est ainsi qu’au Ve siècle se précise peu à peu la doctrine des deux natures, l’humaine et la divine, qui sont unies dans la personne du Christ.
Cette évolution ne va pas sans difficultés. Nestorius, évêque de Constantinople depuis 428, exacerbe à outrance cette distinction des deux natures, conteste que le Verbe ait souffert dans la Passion et refuse à la Vierge Marie le titre de Mère de Dieu, theotokos en grec, puisqu’elle a enfanté un homme. Aussitôt formulée, cette théorie suscite des réactions indignées à Constantinople, à Rome et, surtout, à Alexandrie. Face à Nestorius se dresse l’évêque Cyrille, pour qui le Verbe divin s’est abaissé jusqu’à la condition humaine et a réellement souffert la Passion. En Jésus-Christ, l’homme et Dieu se sont unis pour former, va-t-il jusqu’à dire, une seule nature.
Un concile sans évêques

A Rome, le pape Célestin, mis au courant de ces querelles par Cyrille, condamne Nestorius en 430. Les partisans de ce dernier s’enflamment. L’empereur Théodose II convoque un concile à Ephèse pour l’an 431. Cette année-là, Cyrille, souhaitant mettre fin au plus tôt à l’hérésie nestorienne, ouvre le concile le 22 juin sans attendre les évêques orientaux ni les légats romains. Nestorius est condamné. Les évêques orientaux, arrivés quelques jours après la fin du concile, n’acceptent pas cette décision et s’insurgent.

Un accord intervenu en 433 apaise quelque peu les querelles, qui reprennent de plus belle vers les années 447-448. Eutychès, un moine de Constantinople, répand à ce moment l’hérésie monophysite, dont les racines plongent, au-delà de la position de Cyrille, dans l’apollinarisme. Si Jésus est bien formé des deux natures humaine et divine avant l’union, il ne subsiste plus que la nature divine dans le Christ.

Crise ouverte en Orient

S’ensuivent de nouveaux troubles. A Rome, le pape Léon Ier prend position sur l’affaire et envoie à l’évêque de Constantinople le «Tome à Flavien», un document qui résume sa pensée. Un concile est convoqué pour l’année 451 à Chalcédoine, près de Constantinople.

Le «Tome à Flavien» est approuvé. Il n’empêche: le concile de Chalcédoine ouvre une longue crise en Orient, qui va se prolonger jusqu’au VIIe siècle. Les déchirures qu’il a engendrées sont encore perceptibles de nos jours: une fraction notable des Eglises orientales n’ont pas admis et continuent de refuser les conclusions du concile de Chalcédoine. Ainsi, au cours du Ve siècle, l’empire perse passe au nestorianisme. Le VIe siècle voit la Syrie, l’Egypte, l’Arménie et l’Ethiopie adopter le monophysisme. Les fidèles qui acceptent la doctrine de Chalcédoine se regroupent dans le parti des «impériaux», melkite en syriaque, qui avait de son côté le pouvoir impérial.

Théodora en coulisse

C’est en vain que les empereurs essaient d’éradiquer l’opposition anti-chalcédonienne. En 482, Zénon appelle à l’unité autour de l’Hénotique, un édit qui condamne à la fois Nestorius et Eutychès. Son successeur Anastase (491-518) poursuivra son œuvre. Mais tant les monophysites que les chalcédoniens refusent l’Hénotique. Entre-temps, le monophysisme se développe et reçoit ses lettres de noblesse en Syrie-Palestine grâce à Sévère d’Antioche, qui lui a donné un cadre théorique tout en refusant les outrances d’Eutychès.
L’empereur Justinien (527-565) a fait alterner les tentatives d’union et les répressions. Sous l’influence de sa femme Théodora, il tente d’abord une politique d’unité. Il réunit en conférence contradictoire orthodoxes et monophysites et édicte le 15 mars 533 une profession de foi qui ménage les monophysites. Mais ceux-ci poursuivent dans leur obstination à refuser toute conciliation avec les chalcédoniens.

Justinien donne alors du bâton en lançant une répression policière. Puis il se décide à une nouvelle démarche de conciliation vers 543-544. Il promulgue un édit qui condamne ce qu’on appelle les Trois Chapitres, c’est-à-dire une série de textes attribués à trois auteurs chez qui on décèle une vague tendance nestorienne. La position des monophysites ne change pas d’un iota, et l’Occident s’insurge contre la condamnation des Trois Chapitres.

Pressé d’en finir, Justinien convoque un concile œcuménique à Constantinople, qui a lieu du 5 mai au 2 juin 553. Il obtient le feu vert du pape Vigile, qu’il avait pris soin de faire enlever et séquestrer sept ans plus tôt, et y fait approuver ses propres thèses. Ce concile n’apaise pas les monophysites, qui n’exigent pas moins que la condamnation de celui de Chalcédoine. Justinien reprend sa politique de répression, mais elle restera sans grand effet, grâce à l’action de Jacques Baradée qui entreprit patiemment de reconstituer le parti monophysite décimé.

Les débuts d’une riche liturgie

Parallèlement au développement du monachisme oriental, la culture chrétienne se développe dans cette première époque byzantine. Les empereurs se posent en protecteurs du christianisme et veillent à éradiquer, par la force s’il le faut, toute manifestation d’hérésie. Le monde chrétien est réparti en cinq patriarcats: Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem.

La piété byzantine acquiert son caractère propre. Et la liturgie commence à se parer de la richesse et du mystère qu’elle a conservés jusqu’à nos jours. Le culte des icônes prend son essor. A la fin de ce VIe siècle, comme l’écrit Henri-Irénée Marrou*, «Nous sommes bien entrés désormais au cœur de la période proprement byzantine, l’Orient nous apparaît comme résolument engagé dans la voie propre qui sera la sienne, voie par tant d’aspects si différente de celle qu’entre-temps a choisi de suivre l’Occident.»

Par Patricia Briel, www.letemps.ch

Dates jalon

* Henri-Irénée Marrou, L’Eglise de l’Antiquité tardive, 303-604, Seuil, 1985

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